LA RUPTURE DU FRONT ALLEMAND |
LA PRÉPARATION DE L'OFFENSIVE |
La 7e Armée américaine se dirige vers le nord des Vosges pour rejoindre les forces principales venant de Normandie. Cela oblige la 1re Armée Française à s’étirer vers le Nord et par conséquence, la 1re DFL doit également étirer son front sur plus de 25 km avec ses unités. Le 22 octobre, la 1re DB du Général du Vigier est mise à la disposition du 1re CA que commande le Général Béthouart. La volonté de l’État-major était de pénétrer en Alsace par les Vosges avant l’arrivée des grands froids. Vers le 24 octobre, le Général de Monsabert, commandant le 2e CA, ordonne de déclencher les opérations dans le massif vosgien. En même temps un plan d’intoxication est mis au point pour tromper l’ennemi. Il a pour effet d’attirer les troupes allemandes dans les Vosges. De Lattre compte profiter de cette aspiration des troupes allemandes vers le Nord pour exposer son plan. Il veut déclencher une attaque surprise sur Montbéliard pour s’emparer de la trouée de Belfort et s’ouvrir les portes de l’Alsace. Entre le 10 et 13 novembre, des unités du 1er CA stationnées dans la région de Luxeuil font mouvement vers le Doubs pendant que le 2e CA lance des attaques sur le sud des Vosges. Le 11 novembre, le Général Béthouart propose d’ajourner l’offensive prévue pour le 13 en raison des conditions météorologiques déplorables : froid, neige et sol gorgé d’eau. Le 14, le général Béthouart engage l’offensive en direction de Belfort. Le temps est épouvantable et le Doubs est en crue tout comme ses affluents. Au sein de la 1re DFL, trois équipes de combat régimentaire ou RCT (Regimental Combat Team) sont mis sur pied. -RCT1 du colonel Delange comprend la 1re Brigade et un groupement blindé (1er RFM et 8e RCA). Mis en réserve provisoirement. -RCT2 du Lieutenant-colonel Bavière est composé de la 1re Brigade et d’un groupement blindé. Il aura pour mission l’attaque sur Fresse-Col de la Chevestraye-Auxelles-Giromagny. -RCT3 du Colonel Raynal est composé de la 4e Brigade, d’un Escadron du 8e RCA, des TD du 8e RCA, des éléments du 1er RFM, les ‘’portés’’ du 2e Escadron du 11e CUIRS et un escadron de Sherman du 6e RCA. Son axe d’attaque sera Champagney-Auxelles-Giromagny et Rougemont. Chaque RCT reçoit l’appui d’un groupe de canon de 105 mm du 1er RA avec une porté de 12km. L'État-major de la DFL a décidé d'articuler ses blindés en trois groupements, ainsi répartis : |
DES PATROUILLES DE RECONNAISSANCE |
Le 18 novembre, des patrouilles sont envoyées sur le front. Certains P.A. sont toujours occupés par l’ennemi, d’autres sont abandonnés. Cependant certains indices montrent que les Allemands se sont repliés. Un exemple nous est donné par le journal de Marche du BM24 pour la journée du 18 : «Prudemment, le Sergent-Chef ECK, ancien du Vercors, avec quatre hommes est dirigé sur CHAMPAGNEY, le long de !a voie ferrée. Comptant les traverses, à quatre pattes, à la 173ème, il coupe un premier fil de mine à traction. Ainsi jusqu'à la 400ème environ. Puis il passe trois barricades successives. À la troisième, un casque tombe. Gros émoi, pas de réaction. Ainsi les Allemands sont partis. » Il est certain que des agents, des espions, ont traversé les lignes pour obtenir le maximum de renseignements sur les Allemands. Robert Wissler, président de la section des Anciens Combattants de Champagney, rappelle cet épisode lors de l’assemblée générale de fin févier 1988 : « L'ordre dans lequel les libérateurs sont entrés à Champagney, le 19 novembre 1944, n'a aucune importance. Les premiers soldats français qui sont entrés dans la cité, peu de Champagnerots les ont vus. Ils sont arrivés plus de deux semaines avant la libération. Prévenu par mon chef de maquis, Raymond Limbachère, je me suis rendu à l'ancien hôtel Frachin, aujourd'hui la poste de Champagney, où j’ai été mis en présence d'un couple très «sympa » qui n'était autre que des agents de commandos. Des soldats français sans arme et sans uniforme, des raisons pour lesquelles personne ne les avait remarqués. Avec eux, j’ai parcouru Champagney, à la recherche des batteries et des groupes ennemis encore en place. Je passe et repasse plusieurs fois les lignes pour rejoindre notre PC à Fresse. A mon avis, ce sont eux les premiers libérateurs, les autres sont venus après. Il n'y a pas eu de gros accrochages, j'étais bien placé pour dire que l'ennemi avait décroché. Et c'est précisément ce 18 novembre que, tôt le matin, le pont sauta. C'est alors que mes deux compagnons et moi-même, avons quitté Champagney ; eux par le Champey pour rejoindre leur ligne comme ils en avaient l'habitude et moi en direction de Plancher-Errevet, chercher les derniers renseignements. » Dans le courant de la journée du 18, on distribue les rations de type K. Elles contiennent la quantité de vivres nécessaires à un homme pour une journée. En principe, elle est destinée à l’approvisionnement des hommes en première ligne au cas où la violence des combats empêcherait l’acheminement d’autres denrées. Pour tous les hommes, cela signifie que le départ pour la bagarre est imminent. Un ordre arrive, fixant le jour J au 19 novembre. Ce même jour Robert Wissler quitte Champagney à destination de Planche-Bas et Errevet pour « chercher les derniers renseignements ». Il précise : « J'ai vu, à Passavant, deux Allemands qui creusaient des trous de mine ; ce sont ces obstacles qui ont fait chuter le général et son ordonnance, le lendemain. A l'aller, les ‘’Teutons’’ m'ont laissé passer, mais pas au retour ! C'est ainsi que j'ai vu la libération non pas à Champagney, mais à Plancher-les-Mine. La plupart des gens croient que la jeep est tombée là où le monument est érigé, sur Plancher-Bas. En vérité, c'est plus en aval sur Champagney, juste dans la courbe de la rivière qui quitte la route, que les fourreaux de mines ont fait basculer l'équipage dans le torrent en crue ». Stratégiquement parlant, c’était l’endroit idéal pour considérablement retarder la progression des véhicules et surtout les blindés. L’explosion aurait creusé un énorme entonnoir infranchissable avec d’un coté, le Rahin en crue, et de l’autre, la falaise qui longe le bord de route. Le tracé de la route n’a pas bougé depuis cette époque malgré l’arasement d’une partie de la butte. |
L'ATTAQUE SUR CHAMPAGNEY |
Le dimanche 19 novembre à 6 heures du matin la température est proche de zéro et une brume glacée enveloppe toute la vallée du Rahin. Sur le coté droit de la RN19 à Recologne une file de blindés stationne. Les pilotes font chauffer les moteurs. En tête, les chars ‘’light’’ de 18 tonnes de l'escadron de reconnaissance du Lieutenant de vaisseau Barberot du 1er RFM puis les chars ‘’Tank-Destroyer’’ de 32 tonnes du 8e RCA. Les fantassins dont les ‘’portés’’ du 11e CUIRS qui ont perçu les munitions pour deux jours discutent en attendant les ordres. À 6 h 55 tous grimpent sur les chars et s’agrippent sur la plateforme arrière. À 7 heures la colonne s’ébranle, passe le centre de Ronchamp et empruntent la rue d’Amont. Elle débouche au quartier du Puits VII où d’autres véhicules attendent : ambulances, jeeps, scout-car, etc… La colonne prend l’actuelle rue de la Côte Thiébaut en direction de Champagney. Un peu plus loin, des chars du RFM s’engagent dans un chemin encaissé qui mène à la cote 406. Ils sont précédés d’une patrouille du BM24 qui subit des tirs d’éléments retardateurs allemands aussitôt éliminés par les rafales des mitrailleuses lourdes des chars. Le char de tête cherche une ouverture pour atteindre le vallon. Les hommes mettent pied à terre et le premier char s’engage dans une pente très raide où il risque de basculer à tout moment. Finalement, tous débouchent dans la rue principale du hameau de la Houillère. Des patrouilles constatent que le village s’est complètement vidé de ses habitants. La colonne poursuit sa route ; la Bouverie puis Champagney. Il est 10 h 30 quand le premier char du RFM stoppe devant la mairie au milieu d’une foule en délire. Un homme âgé rencontre un soldat français. Il lui demande confirmation des dires de Brosset au sujet du manque de carburant et de munitions. Le soldat, André Cayon du BM24 lui répond À Ronchamp, à 8 heures une autre colonne se forme. Les BM24 et BM21 marchent sur la D4 en direction de Champagney avec en tête des chars Sherman du 8e RCA et ceux du 1er RFM. À mi-parcours, la colonne est harcelée par l’artillerie et les mitrailleuses allemandes. Au détour de la route, un char (Tigre ?) allemand se présente ; il s’ensuit un échange de tirs entre les Sherman et le blindé qui est touché et s’enflamme. Vers le milieu de la matinée, des éléments investissent les quartiers de la rive gauche du Rahin et poussent même jusqu’au hameau du Magny en début d’après-midi. Sur l’aile gauche de l’offensive, le RCT3 progresse dans les bois au nord de Champagney. À 9 h 30 le BIMP du commandant Magendie est retardé par un nid de résistance. Le capitaine Brazo, commandant la 2e Cie, est blessé par un éclat de grenade. Un peu plus tard, vers 11 heures, c’est tout le BIMP qui est bloqué devant des Allemands bien retranchés et camouflés dans des abris en rondins. Plus au Sud, la 3e Cie du BM24 avance péniblement dans les bois où les abattis sont nombreux dans les chemins et sentiers. La crête du Bermont n’est atteinte que vers midi. Au même moment, Brosset est à Champagney au milieu de ses hommes et de la foule. L’offensive continue. À la sortie Est du village, la 3e Cie du BM21 est stoppée par de violents tirs venant de la butte de Passavant, siège d’un ancien château. Une opération est montée avec la 3e Cie du BM21 pour investir cette position à 14 heures. Ses deux sections de combat, des FFI pleins d’enthousiasme mais inexpérimentés, sont chargés de faire taire les armes. Elles montent à l’assaut en la débordant par les bois de l’Ouest. Après 2 heures de silence radio, le combat s’engage au son des rafales et des explosions de grenades. Les sections enlèvent la position et ramènent des prisonniers. Aussitôt l’ennemi revient occuper la position et mitraille la route. Les opérations sont alors suspendues avec la tombée de la nuit. Dans le secteur de Fresse, le RCT2 passe à l’attaque après une bonne préparation d’artillerie. Le BM4 enlève toutes les positions allemandes du col de la Chevestraye et le BM5 chasse l’ennemi des crêtes entre Fresse et Champagney. Le 20 novembre, le 1er CA de Béthouart aborde Belfort et le Salbert. Dans la vallée du Rahin, les Allemands se replient précipitamment malgré quelques combats d’arrière-garde. Dans les rangs du RCT2, le 22e BMNA doit attendre le déminage et le déblayage de la route en lacets avant de fondre sur Plancher-les-Mines. Le BM4 et le BM5 traverse la vallée et foncent sur Auxelles-Haut et la crête du mont Saint-Jean. Au RCT3, l’Escadron Barberot, les TD et les sections de ‘’portés’’ foncent sur Plancher-Bas. L’ennemi fuit et tente de résister à l’approche d’Auxelles-Bas mais vers 13 heures le village est aux mains des français. |
L'ACCIDENT FATAL AU GÉNÉRAL BROSSET |
Ce même jour, à 5 heures du matin à son PC de Mélisey, Brosset fait le point de la situation et donne ses ordres pour la journée. À 7 heures, c’est le départ pour le front. Dans la jeep découverte, s’installent Brosset au volant, son chauffeur Picot et son 2e Officier d’Ordonnance, Jean-Pierre Aumont. Il part en inspection vers ses trois groupements à travers les bois sur les pistes détrempées. Brosset est joyeux, voir euphorique, d’autant plus qu’il est porteur d’une très bonne nouvelle ; depuis la veille à 18 heures 30, des blindés français sont au bord du Rhin, à Rosenau près de Saint-Louis.Sitôt hors de la jeep, Brosset saute les fossés, grimpe les côtes, fonce à travers les ronces, pendant que Jean-Pierre Aumont distribue le fameux message qui apprend aux combattants que le Rhin est atteint ; vraiment dopant pour eux. Mais il faut aller vite ailleurs ; c'est ainsi qu'ils arrivent bientôt à un gué du Rahin (entrée de Champagney) qu'ils ont passé en jeep la veille, mais aujourd'hui c'est impossible; il leur faut emprunter un pont nouvellement établi par le génie. Moins chanceux, des officiers sont arrêtés au milieu de la rivière, dans leur jeep, entourés d'eau jusqu'aux sièges: ils ont voulu passer avant que le pont ne soit prêt, et ont été surpris par la crue. Sur le front de la division, dès le lever du jour, les brigades reprennent leurs attaques sur Plancher-le-Mines, Plancher-Bas, Auxelles et Giromagny. Les forces allemandes se replient précipitamment. Cependant il reste des petits groupes isolés qu’il faut éliminer. Brosset est à Champagney vers 10 heures au milieu de ses hommes et de la population enfin libérée. Il poursuit sa route en direction de Plancher-Bas où il est accueillis en héros vers midi et demi. Pas le temps de s’appesantir, il fonce vers Auxelles avec le groupement Barberot. Un moment retardé, il part à toute vitesse sur Giromagny mais rate un virage. Tous sont indemnes mais la jeep a sa direction brisée. Il repart sur Champagney pour faire le point avec son chef d’État-Major Bernard Saint-Hillier, en empruntant une jeep du 8e RCA. À la sortie de Plancher-Bas un pylône électrique est tombé sur la route. En forçant le passage, les fils s’enroulent sur la transmission de la jeep. Brosset laisse son chauffeur Picot se débrouiller avec les fils électriques et emprunte une jeep du Détachement de Circulation Routière (DCR). Jean-Pierre Aumont saute à l’arrière et le Sergent chauffeur à coté du Général. Le Sergent prévient Brosset : -« Méfiez-vous, mon Général, la jeep déporte à gauche quand on freine ! » Brosset démarre sur les chapeaux de roue et arrive vers le petit pont où ils s’étaient arrêtés le matin ; les sapeurs y sont toujours. Brosset aborde à pleine vitesse le petit pont sur le ruisseau en crue, l’Ambiez. Jean-Pierre Aumont lui crie : « Attention le pont est miné ». Un coup de frein brutal, la jeep dérape, franchit le parapet en pierre, hésite puis bascule dans le tumultueux Rahin en crue. Jean-Pierre Aumont et le chauffeur sont éjectés au moment du franchissement de la murette en pierres. Sous la jeep retournée, on aperçoit de façon fugitive le corps de Brosset, immobile à son volant. Puis le véhicule se déplace légèrement sous la poussée de l'eau, libérant le corps qui disparaît dans un remous. À quelques mètres du pont, sur l'épi qui barre le Rahin, un cordon d'hommes se tenant les mains, font comme un barrage, mais en vain. On retrouve le Général deux jours plus tard, près de Champagney. Ses obsèques ont lieu le 23 novembre à l’église de Lure et l’inhumation au cimetière militaire de la 1re D.F.L. à Villersexel le lendemain. Il repose aujourd’hui à la nécropole nationale de Rougemont dans le Doubs. Dans ce cimetière ont été déposés les corps de 2169 soldats français dont 1251 sépultures musulmanes. Il a été promu le 19 février 1945, à titre posthume, Commandeur de la Légion d’Honneur avec attribution de la Croix de Guerre avec palme. Les témoins qui ont raconté l’accident ont associé la murette en pierres à un parapet de pont où le Rahin en crue frôle la route. Le petit pont sur le ruisseau l'Ambiez a ajouté de la confusion dans les récits. Beaucoup ont écrit que Brosset a ’’dérapé sur le pont du Rahin’’, or il n’y a pas de pont sur le Rahin. Il est dommage que de nos jours certains font toujours la même erreur. |